LA PECHE DU MAQUEREAU DE DERIVE.


On connait bien évidemment la cité douarneniste comme étant (ou ayant été) la capitale de la sardine. Mais la pêche du maquereau de dérive a également été très importante pendant une quarantaine d'année et a permis bien souvent de compenser les différentes crises sardinière du début du XXe siècle.

(extraits du livre "Ar Vag" tome 1 - Edition du "Chasse-Marée")

Le métier de dérive est l’un des plus anciens pratiqués par les pêcheurs de l’Europe du nord-ouest. Il consiste à amarrer bout à bout un nombre élevé de filets flottants, jusqu’à obtenir une «tessure» de très grande longueur. Cet immense barrage dérivant en pleine mer permet d’intercepter dans leurs migrations les bancs de certaines espèces saisonnières. Il s’agit surtout de petits poissons gras : harengs, sprats, sardines et maquereaux.(...)

Au matin du départ, tout l’équipage se retrouve sur le port pour la préparation des filets ; chacun a apporté son lot, à dos d’homme, chargé sur une petite charrette, ou porté à bras sur une civière, avec la caisse des galets.(...)
Deux catégories de filets ont été distinguées ; les vieux et les neufs, les plus précieux. Chacun de ces lots formera l’une des deux parties de la tessure : le « jeu des vieux filets » et le « premier jeu ». Ce premier lot est toujours le dernier mis à la mer. Ainsi, il se retrouve en première ligne pendant la pêche ; sous le vent, à proximité de la chaloupe, il sera plus aisément récupérable en cas de coup dur.(…)

D’autres logiques sous-tendent la disposition des engins. Chaque matelot a trois ou quatre filets dans chaque tessure (filets anciens/filets neufs). Pour éviter qu’un homme puisse pâtir à lui seul d’un accident occasionné au train de pêche (coupure, détérioration, perte), trois séries linéaires sont constituées dans les deux jeux. Elles regroupent chacune un filet de chaque marin et un de chaque demi-part disposés bout à bout.(...) Ainsi nul ne peut avoir deux de ses filets gréés ensemble.(...)

On part dans l’après-midi avec un nombre assez considérable de filets attachés bout à bout. Une fois dans l’eau, cette tessure demeure à la surface et présente une ligne ininterrompue de plusieurs centaines de mètres. L’embarcation poursuit sa marche traînant l’engin et se promenant dans les endroits où l’on a soupçonné la présence du poisson. La nuit se passe à voyager de la sorte, et, à l’aube, on ramène à bord les filets et le poisson...quand il y en a.(...)

Activité saisonnière, la pêche du maquereau est elle-même rythmée par certaines contraintes écologiques et techniques. La lune d’abord. On pêche fort peu du premier quartier à la pleine lune. Sans qu’il y ait véritablement une détermination rigoureuse, on peut constater que les sorties correspondent souvent aux lunaisons, surtout en début de saison. Six à huit «voyages» durant eux-mêmes deux ou trois jours chacun, puis huit à dix jours de relâche, voilà la cadence habituelle des maquerautiers au début du XXe siècle. (après la Grande Guerre, les dundées feront des voyages de 10 à 15 jours).(...)

Les relâches sont souvent mises à profit pour accélérer le travail de séchage, de ramendage et de tannage des filets, qui est en principe confié aux femmes (...) Chaque marin doit posséder deux séries de filets, qui travailleront en alternance. Trois séries permettent d’étaler mieux encore les tâches d’entretien. Le matelot qui s’engage dans la campagne maquereautière est donc à la tête d’un capital assez important de 12 à 30 filets.(...) A chaque extrémité (des filets), un liège ovale ou rectangulaire porte une petite plaque de bois gravée au nom et matricule du propriétaire. On y ajoute la date de mise en service du filet, numéro d’ordre, et souvent d’élégantes ciselures décoratives.(...)

De la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1920 la pêche du maquereau se pratique sur des chaloupes, non pontées au début puis progressivement pontées, mais à de faibles distances de la côte. Ainsi les sorties restent courtes, de 2 à 3 journées (ou 1 à 2 nuits devrions-nous dire). Les liaisons terrestres ne facilitent pas non plus la diffusion du produit hors des communes côtières. Mais progressivement les bateaux vont devoir aller de plus en plus plus loin pour une meilleure pêche même si le type d’embarcation utilisé ne s’y prête pas vraiment.

En 1923, l’initiative individuelle d’un patron douarneniste va bouleverser les perspectives de l’armement maquereautier. Pour la première fois, Henri Doaré démontre l’excellente adaptation du dundée à ce métier nouveau pour lui ; il inaugure du même coup, en compagnie de Prosper Belbéoc’h, de nouveaux lieux de pêche plus poissonneux situés au large des Scilly.

Voici un des rapports de l’Administration des Affaires Maritimes, daté du 7 mars 1923 (toujours extrait de "Ar Vag" tome 1), et fort intérressant concernant "Telen Mor".

" Je m’empresse de vous informer que le dundée «Mechan Bian» de 32 tx de jauge brute, patron-armateur Doaré Henri, est rentré ce matin, venant des côtes anglaises avec 140 douzaines de gros maquereaux, vendus 18 F la douzaine aux mareyeurs.
Ce fait est intéressant à signaler car c’est la première fois que nos pêcheurs bretons se rendent au devant du maquereau jusqu’en Angleterre. L’an dernier, le patron Belbéoc’h Prosper, promoteur du mouvement, avait été empêché de partir en février, par suite d’une avarie inopportune.
Le «Mechan Bian» a été construit spécialement en vue de cette pêche. La première campagne a été contrariée par le mauvais temps. Il a dû relâcher à Falmouth pendant 48 heures puis à Penzance pendant 4 jours ; il est enfin à Newlyn où il est resté 9 jours, et où il a dû renouveler sa provision de glace.

Dans tous ces ports, l’équipage français a été très bien accueilli par les autorités anglaises et les pêcheurs. Arrivés sur les lieux de pêche le 4 mars au matin, nos marins ont fait leur première dérive à 12 miles dans le S.E. de l’Ile Sainte Marie de Scilly et ont pêché 120 douzaines de maquereaux. La deuxième dérive a rapporté 20 douzaines ; le baromètre baissant, le patron Doaré a décidé alors de rentrer à Douarnenez.

Il va repartir lundi prochain, pour les mêmes parages, et espère, le temps le permettant, une pêche fructueuse, cependant que le patron Belbéoc’h avec le «Parbleu», sloop (??) de 31 tx, va tenter la fortune plus à l’ouest. D’autres dundées et même 2 grandes chaloupes commencent leur armement (*).

(...) En résumé, malgré des circonstances de temps très défavorables, l’essai tenté par Doaré a été couronné de succès, et nombreux seront certainement, l’année prochaine, les patrons qui, suivant son exemple, appareilleront pour les côtes anglaises dès le début de février.

le «Parbleu» et le «Galopic» sont attendus sous peu. Demain, doivent appareiller le dundée «Requin», le sloop «Jep» de 20 tx et 5 chaloupes.

Les beaux résultats donnés par cette pêche incitent une grande activité à Douarnenez. Les ingénieurs de la Sté Dyle et Bacalan (de Bordeaux-note de l'auteur) vont installer à titre de propagande des glacières à bord du «Parbleu» et du «Requin». Ces glacières, estimées à 1000 F, prix de réclame, seront mises à la disposition des patrons Belbéoc’h et Le Léon, moyennant une majoration de 5 F du prix de la tonne de glace, jusqu’à paiement intégral. (...) "


(*) Parbleu, Mechan Bian et Telen Mor sont trois côtres à tape-cul de dimensions et tonnages semblables, construits par le même chantier "Le Roy" à Concarneau, en 1921, 1923 et 1924. D'où l'intérêt de ce rapport.
 
   

Mechan Bian

Zone de pêche

Parbleu

   
le naufrage l'équipagele bateau le projetles infos

(site mis en ligne en octobre 2017)